les petits pas d\'Alizé

Et pourtant...

 

 

 

Et pourtant  :

 

Novembre 2007, Maman et ma soeur Ophélie et moi-même venons de terminer notre repas. Maman installe Ophélie dans son parc et moi dans ma chaise haute. Ophélie réclame son dessin animé avant la sieste. Maman s'exécute. Nous regardons sagement la télé. Maman est juste à côté, occupée à ranger la vaisselle. Soudain, un cri de douleur. Que s'est-il passé, Maman ne comprend pas de suite. Ophélie, qui a parlé relativement vite, explique avec ses mots : "Azé pas gentil avec moi, elle veut pas me garder, alors moi j'ai tié son bavoir pou qu'elle m'écoute dans son oreille".  Maman regarde mon cou et comprend : Ophélie à plusieurs reprises m'a appelé pour me montrer son doudou cheval qu'elle agitait prés de moi. Je ne l'ai pas regardé ni même écouté. De toute façon, je ne fais jamais attention à elle, elle "n'existe" pas pour moi. Alors, avec sa naïveté d'enfant mais aussi sa détermination d'enfant, elle a attrapé mon bavoir et a tiré, encore tiré jusqu'à ce que mon cou n'en peuve plus d'être penché. Ophélie voulait me parler à l'oreille. Je l'ai regardé de force, en hurlant de douleur. La marque laissée par le cordon du bavoir est rouge sang et restera quelques jours. Maman se demande pourquoi je ne veux pas "jouer" avec ma soeur. Par jalousie peut être...

 

 

Janvier 2008, j'ai 16 mois, je marche enfin, une marche assez chaotique, je tombe beaucoup sur les genoux. Je me laisse tomber sur les genoux serait plus exact. Comment dire, je marche et puis soudain, boum, je me laisse glisser sur les genoux et ce geste, je le répète plusieurs fois par jour. C'est comme un jeu. Ma famille pense que je m'amuse. Peut être... Seule, Maman se dit que mes soeurs n'ont jamais fait cela, que mes genoux couverts de bleus doivent me faire mal et pourtant j'ai l'air d'aimer beaucoup ce jeu. Peut être...

 

 

Juillet 2008, je ne parle pas, aucune syllabe, aucun mot. Je suis une enfant solitaire qui adore les glaces de l'armoire dans la chambre de mes parents. Non, ne vous y trompez pas, je ne m'admire pas. En fait, j'adore lécher ces vitres, j'y passe de longues minutes, les yeux fixés sur ce point que moi seule voit et je ressemble à ce petit chat qui lappe son lait, sauf que moi, je suis une enfant de 18 mois qui passe son temps à lécher ces fichues glaces. 

 

Maman m'appelle, je ne réponds pas. Je semble ne pas l'entendre. Maman m'appelle plus fort et au bout de quelques minutes, je me retourne vers elle, petit regard furtif puis je retourne à mon occupation : toujours ces fichues vitres que Maman a envie d'exploser...

 

Maman me force à la regarder "Alizé, regardes moi, bon sang, tu vas me regarder". De sa main, elle tourne mon menton vers elle. Elle fixe mon regard, ne le lâche pas. Je la regarde, les yeux dans les siens, le regard n'exprime rien, juste deux grands yeux qui cherchent, qui se cherchent. Peut être...

 

Maman se dit à ce moment précis qu'il faut agir vite, là tout de suite et arrêter de se dire "peut être".

 

Je me suis enfonçée doucement dans cet autre monde et chaque jour qui passe, je m'y enfonce un peu plus.

 

Mais Maman ne me laissera plus jamais m'enfoncer, elle se le promet, elle me le promet. Elle me tend la main, m'attrape le petit doigt et ne le lâchera plus.

 


 

Septembre 2008 : Mes soeurs font leur rentrée scolaire. Ce jour là, tout commence : première séance à table à tâtons mais peu importe nous apprendrons mutuellement. Durant deux ans, les séances se dérouleront chaque jour de la semaine,  7j/7 y compris les dimanches, les jours de fête sauf quand je serai malade. 

 

Puis suivront les premières séances d'orthophonie, de psychomotricité...

 

Nos efforst paient : je montre une volonté du tonnerre, des capacités supérieures à ce qu'imaginait Maman. J'apprends vite et surtout je développe rapidement un domaine salvateur : l'imitation.

 

 

Se rappeler ces moments n'est pas facile. Toujours beaucoup d'émotions. Mais, si tout était à refaire, Maman recommencerait de la même façon. 

 

Alizé est aujourd'hui presque sortie de son monde invisible. Elle a pied dans notre monde et se débrouille, ma foi, plutôt bien.

 

Maman pourra-t-elle se résoudre à lâcher ce petit doigt ? Définitivement ?

 

La réponse ne nous appartient pas, elle appartient à Alizé. Elle seule saura me le montrer le moment venu.

 

Pour l'instant, c'est trop tôt. Le monde des neurotypiques est si difficile à décoder, si hostile parfois...

 

 

Alizé appartient à ces cas légers qu'on ne voit plus. Et pourtant...



14/02/2012
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